Combien?

Parlons...adoption et recherche d'un chiot!

La pandémie a créé une vraie demande pour des chiots: tout le monde veut un chien pour hier et l'ensemble des éleveurs canins du Québec vous diraient qu'ils reçoivent une quantité astronomique de demandes pour leurs chiots. Honnêtement, c'est devenu un vrai fléau et cela gruge du temps et de l'énergie de façon spectaculaire.

Alors, je crois qu'il est opportun de recadrer les choses et de republier un article que j'avais écrit pour un autre élevage que le mien. Et aussi, de vous donner une idée de ce que pensent les éleveurs lorsqu'on les aborde en trois mots et moins...

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«Combien?»

«Combien t bb?»

«Ouais, t’as un chiot à vendre?»

«Tu me fais-tu un prix si j’en prends 2?»

«jQuery21409979523025876069_1687294470158?»

«Combien le bébé qui te reste?»

Surprenant n’est-ce pas? Pourtant, ce sont là des messages que nous avons reçus de personnes qui souhaitent acquérir un bouledogue français. Pas de «bonjour», pas de «merci», une toute petite phrase et le moins de mots possibles.

En «français-québécois», on appelle cela un opening line. Certes, lorsqu’on souhaite aborder quelqu’un qu’on ne connaît pas à propos d’une question en particulier, il faut bien commencer quelque part…mais de grâce, pas n’importe comment!

Ma première réaction, lorsque j’ai reçu les messages ci-haut, a été de me sentir insultée. Ma douce moitié m’a fait changer d’avis depuis. Voici pourquoi :

Souvent, on a cette image de l’éleveur celle d’un individu qui passe ses journées à jouer avec des chiots et qui s’enrichit de cette façon. Or, la réalité est tout autre.

En effet, chez nous, chaque chien est un être entier, doué de sensibilité, dont il est nécessaire de veiller au bien-être. Cela veut dire, bien entendu, s’assurer qu’il reçoit une nourriture adaptée à ses besoins et qu’il visite régulièrement le vétérinaire, mais également qu’il est sorti, sociabilisé, éduqué, entraîné et stimulé. Lorsque nous ne sommes pas à nous occuper directement d’eux, cela signifie que le temps libre est consacré à la lecture des dernières recherches en médecine vétérinaire, à l’examen du standard de la race, à rechercher le prochain reproducteur qui est susceptible d’apporter une plus-value à la lignée, à remplir les (trop!) nombreux formulaires nécessaires à l’importation de la perle rare, à voyager pour aller chercher le ou la petite dernière qui arrive à l’élevage, à faire des allers-retours chez le vétérinaire et à passer ses fins de semaines en concours de conformation.

Lorsqu’une portée arrive, on ne vit plus, on passe en mode «chien». Les chiots et leur maman ont besoin d’une supervision constante, de jour comme de nuit. On ne compte plus alors les heures passées auprès des chiots à veiller à ce qu’ils boivent mais pas trop, à aspirer le lait qui pourrait être resté dans les narines ou les bronches, à les peser, à superviser la température et le degré d’humidité de la maternité. Je vous épargne également le stress ressenti lorsqu’un chiot ne prend pas assez de poids, lorsqu’il a la diarrhée ou s’il y a présence de sang dans les selles ou s’il vomit. Mais ce stress est sans commune mesure avec la détresse qu’on ressent lorsqu’on perd, pour une raison ou une autre, un chiot. Oui, c’est du vivant, oui, ça fait partie de la game, mais je peux vous assurer que même si on sait que cela fait partie des possibilités, on ne s’y habitue pas.

Alors, lorsqu’on cumule tous les efforts et le temps investis à bâtir un programme d’élevage, c’est vrai que la première réaction, lorsqu’on se fait poser tout bonnement la question «combien?», sans même que la personne n’ait eu la politesse d’écrire tout d’abord «bonjour», c’est d’avoir l’impression que nos efforts et notre temps ne valent pas grand-chose. D’où la réaction de certains éleveurs qui peuvent se sentir insultés et qui ne répondront pas à ce genre de messages.

Je vous ai cependant dit que ma douce moitié m’avait fait changer d’opinion et m’avait fait comprendre que ma réaction n’était pas nécessairement justifiée. Je m’explique.

Il n’est pas donné à tous d’être en mesure de s’exprimer avec aisance. Certains ont de la difficulté à écrire, d’autres sont timides. Dans la très grande majorité des cas, les personnes qui souhaitent acquérir un bouledogue français ne savent pas ce qu’il y a derrière le choix que nous avons fait, non seulement d’en faire l’élevage, mais également dans notre décision de faire cet élevage selon la vision très précise que nous en avions et qui nous demande temps, énergie et ressources financières considérables.

D’autre part, nous ne sommes pas des vendeurs de chiots, c’est-à-dire que nous ne tenons pas à vendre des chiots à tout prix. En fait, notre première responsabilité est justement envers ces chiots que nous élevons : il est impératif pour nous de les placer dans de bonnes familles qui verront à prendre le relais de ce que nous avons accompli et à contribuer à l’épanouissement et au développement des chiots.

Alors poser la question «combien?» est en fait un cadeau…si c’est là la seule préoccupation de l’acheteur, c’est une façon de signaler à l’éleveur que cette personne n’est peut-être pas prête à adopter un chiot d’un élevage spécialisé. C’est donc une occasion propice pour vérifier si cette personne est simplement timide, si elle a de la difficulté à s’exprimer ou si elle magasine un prix et non un compagnon de vie.

Adopter un chiot n’est donc pas un droit, mais plutôt un privilège. En effet, tout éleveur qui se soucie de ses chiots va nécessairement trier les demandes d’adoption qu’il reçoit. J’ai souvent comparé les entrevues téléphoniques que nous faisons avec de potentielles familles adoptantes avec des entrevues d’emploi. Bien évidemment, un futur employeur veut rencontrer les candidats pour s’assurer qu’ils vont contribuer positivement à l’entreprise, mais l’inverse est aussi vrai : les candidats ont l’occasion de valider s’ils souhaitent, ou non, travailler pour cette entreprise. L’adoption d’un chiot n’est pas différente. Au contraire, c’est l’occasion pour l’éleveur de choisir le meilleur environnement pour son chiot et d’assurer la réussite de l’intégration de ce dernier dans sa nouvelle famille.

Souvent, une des premières réponses que nous recevons lorsque nous annonçons le prix des chiots c’est : «Sont donben chers tes chiens». Oups, voilà une source de frustration supplémentaire. En effet, pour chaque éleveur, les chiots issus de leur élevage valent tout l’or du monde! Mais au-delà, il y a les frais liés aux tests de santé, à l’entretien des chiens, les soins vétérinaires courants et pour la reproduction, la césarienne et je ne parle pas des frais de saillie et les frais pour les expositions ou autres concours canins! Je vous épargne également le discours sur le temps passé à s’occuper de la portée et à éduquer les chiots. Mais je peux vous dire que la plupart des éleveurs s’estiment chanceux lorsqu’ils arrivent à couvrir leurs frais d’élevage avec la vente des chiots.

Ceci étant dit, et pour répondre en partie à la fameuse question «combien?», attendez-vous à payer au minimum 2500$ pour un chiot et plus de 3000$ pour un chiot enregistré dont les parents sont titrés ou testés sur le plan de la santé.

De plus, plutôt que de frustrer l’éleveur en lui disant que ses chiots sont trop chers, remerciez-le d’avoir pris le temps de vous répondre ou dites-lui sincèrement que le prix du chiot dépasse ce que vous aviez budgété. C’est la plus élémentaire des courtoisies.

En résumé, c’est normal dans le cadre d’une adoption de poser cette fameuse question «combien?». Tout est dans la manière de le faire et dans le timing : pourquoi ne pas débuter en vous présentant à l’éleveur? Expliquez-lui pourquoi vous souhaitez adopter un de ses chiots et ce que vous recherchez. De cette manière, il a fort à parier que non seulement vous aurez la réponse, mais que vous recevrez toute l’information que vous souhaitez avoir sur son élevage, ses chiots et sa philosophie. ❤