Pourquoi je n'aime pas particulièrement les Shortybulls, les Frenchtons et les Doodles

Hier, alors que je jasais avec une copine qui est vétérinaire (en fait, c’est ma vétérinaire préférée), j’ai pris le temps de lui expliquer pourquoi je n’aimais pas ces «chiens de designers» ou, si vous préférez, toutes ces nouvelles appellations issues de croisement de deux races, tels les shortybulls (bouledogue anglais et bouledogue français), les frenchtons (boston et bouledogue français), les morkies (bichon maltais et yorkshire), les bogs (boston et carlin) et tous les doodles qui sont en fait le produit du croisement d’un chien autre avec un caniche (goldendoodle, bernedoodle, aussiedoodle, etc.).

Une fois mon explication terminée, ma copine m’a dit candidement : «wow, je ne l’avais jamais vu sous cet angle, personne n’avait pris le temps de m’expliquer».

Okay, me suis-je dit. Si même elle ne le savait pas, alors qui le sait? Bon, bon, bon, je vais essayer de l’expliquer, sans tomber dans la rhétorique puriste et élitiste de «mon chien est meilleur que le tien».

En fait, je n’ai rien contre le chien lui-même. Après tout, il fait certainement le bonheur de sa famille et il est sans doute adorable. Cependant, j’en ai contre les pratiques probables de son éleveur. Je m’explique.

Au Canada, la Loi sur la généalogie des animaux a pour objectif de favoriser l’amélioration des races et de protéger ceux qui achètent et élèvent des animaux, lesquels sont considérés comme ayant une valeur importante, un peu comme on tente de conserver un patrimoine culturel. Le Club canin canadien («CCC») est un organisme constitué en vertu de la Loi et a pour mandat de préserver les registres des enregistrements des chiens de race pure au Canada. Il reconnait, à l’heure actuelle 175 races de chiens.

En vertu de la Loi, seuls les chiens enregistrés auprès du CCC sont considérés comme étant de race pure. Pour enregistrer un chien, il est nécessaire que les deux parents soient de la même race, il va sans dire. Cependant, cela signifie également que même si un chien est issu de deux parents enregistrés au CCC, mais qu’il n’est pas lui-même enregistré, il ne peut pas être considéré comme un chien de race pure : il sera au contraire considéré de ce qu’on qualifie, en québécois, de «bâtard».

Pour avoir le droit d’enregistrer un chiot, celui-ci doit donc être issu de la reproduction de deux chiens enregistrés, mais ils doivent l’être sans restriction, c’est-à-dire que le propriétaire a le droit de les reproduire. En anglais, on qualifie généralement cet enregistrement de full rights. À l’inverse, lorsqu’un éleveur vend un chiot comme animal de compagnie, et non comme un éventuel reproducteur, il le vend normalement avec un enregistrement sous un accord de non-reproduction. Ainsi, bien que le chien soit dument enregistré au CCC, son éventuelle progéniture, elle, ne pourra pas être enregistrée.

Bon, me direz-vous, c’est bien beau tout ça, mais quel est le lien avec les shortybulls, les frenchtons et les doodles de ce monde? C’est vrai, ce n’est pas si évident, sauf pour ceci.

Lorsqu’un éleveur vend un de ses chiens avec les droits de reproduction, généralement, il s’assure de savoir à qui il confie son chiot. En effet, certaines lignées sont le fruit du travail de l’éleveur sur plusieurs décennies et constituent la somme d’investissement et d’efforts considérables pour arriver à produire le type de chien que l’on souhaite. Aussi, il est fréquent que le chiot soit vendu au moins deux, trois ou quatre fois le montant qu’il aurait été vendu en tant que compagnon. En résumé : un éleveur qui fait l’acquisition d’un chien de race pure auprès d’un autre éleveur paie non seulement pour le chien, mais également pour avoir le droit de le reproduire.

Tel que je l’ai mentionné, un shortybull, un frenchton ou n’importe quel doodleest issu de deux races différentes. Dès lors, aucun chiot issu d’une telle reproduction ne pourra être enregistré en tant que chien de race pure au CCC. Aussi, l’individu qui souhaite produire des goldendoodles par exemple, pourra faire l’acquisition d’un golden retriever auprès d’un éleveur de chiens enregistrés au CCC et ensuite, faire la même démarche auprès d’un éleveur de caniches. Cependant, dans les deux cas, cet individu ne tentera pas de faire l’acquisition d’un chien enregistré avec les full rights parce qu’il ne pourra pas, de toute façon, enregistrer les chiots. Et il ne faut pas se méprendre : il ne divulguera pas davantage à l’éleveur qu’il fait l’acquisition d’un chien dans le but de le croiser avec une autre race, car il sait pertinemment que son interlocuteur risque de ne pas être intéressé par la perspective de compromettre, en quelque sorte, le fruit de plusieurs années de travail à essayer de préserver une race.

Bref, ce que j’essaie d’exprimer en tant de mots c’est en fait une idée fort simple : l’individu qui fait l’acquisition de deux chiens de races différentes au prix d’un animal de compagnie pour les reproduire et, éventuellement, les revendre à gros prix, le fait dans un but purement mercantile sans redonner aux éleveurs leur juste part. Un tel comportement est l’équivalent de celui qui photocopie un livre pour éviter de payer de droits ou de celui qui télécharge de la musique sans payer de redevances. Bof, banal me direz-vous? Qui n’a pas regardé quelques films en streaming? Eh bien, à ces détracteurs je dirai : parlez-en à Claude Robinson, qui a passé 18 années à faire valoir ses droits de propriété intellectuelle jusqu’en Cour suprême et rappelez-vous que pour tous les éleveurs consciencieux que je connais, chaque chiot issu de son élevage est le fruit de sa vision, de sa passion, de sa création, d’un travail et d’efforts soutenus. La reproduction sans droit d’un chien issu de son élevage constitue non seulement un vol des droits de reproduction qu’il n’a pas cédés, mais également un détournement de son travail et de sa création.

En conclusion, faire l’acquisition d’un shortybull, d’un frenchton, d’un labradoodle, d’un yorkipoo ou de tout autre nom inventé par des designers de chiens, c’est un peu comme acheter de la contrefaçon. Pourtant, l’animal de compagnie est probablement le seul domaine où la contrefaçon coûte plus cher que l’original. Il y a 175 races répertoriées au CCC, alors pourquoi ne pas en profiter pour en découvrir quelques-unes? Il serait extrêmement étonnant qu’aucune ne réponde à vos attentes ou aspirations. ❤